Les Prisonniers de la voûte étoilée (début, 800 mots)

Seules les étoiles accompagnaient Adèle. Elle s’enfonçait dans les ruines, dans le froid et l’obscurité au milieu des enchevêtrements de métal rouillé et parmi les débris de verre éparpillés sur la glace. Ses amis la croiraient morte, tombée dans un des pièges de ce monde de cauchemar.

En dehors de leur colonie, la Nuit n’avait pas de fin. Aucun jour ne dévoilait les dangers des immeubles, des rues et des tunnels en ruines de l’ancienne civilisation industrielle. Le regard d’Adèle scrutait la jungle des décombres sous le faisceau de sa lampe, à l’affût de sols instables pouvant la précipiter six pieds sous terre, guettant des monceaux de poutres branlantes prêts à l’écraser ou d’immenses plaques de verglas dissimulées sous la poussière.

Quinze heures auparavant, sa camarade Mascha avait observé une lumière, un inexplicable éclair dans le lointain. À une distance telle qu’en temps normal, ils auraient renoncé à en savoir plus. Mais le prétexte convenait parfaitement à Adèle : « J’irai, » avait-elle annoncé, « j‘irai seule. » Une percée aussi loin dans les ruines relevait bien entendu de la folie, mais elle les avait convaincus. Josh avait proposé de l’accompagner, lui qui était le plus maladroit de tous… Elle avait plongé ses yeux dans les yeux de cet homme, posé la main sur son épaule et elle lui avait dit, à lui qui était son meilleur ami : « Je reviendrais Josh. Tu me reverras. » En préparant son sac, elle frottait cette main contre le tissu, encore et encore, sans parvenir à se débarrasser de la sensation de souillure. Elle avait couvert sa peau de protections contre le froid : la pommade blanche, le couvre-bouche qui permettait à présent de garder le souffle, l’épais manteau qui la gardait au chaud sans la faire transpirer…

Sa lampe torche réglée au minimum d’intensité, elle s’orientait désormais moins grâce au faible halo qu’à l’aide de la voute céleste densément étoilée. Les tours délabrées découpaient leurs noires silhouettes dans la Voie lactée. Un pas après l’autre, Adèle s’enveloppait de la Nuit et la liberté se diluait en panacée dans ses artères.

Elle s’arrêta.

Sous le faisceau de sa lampe, dans la poussière, des traces de pas lui barraient le chemin.

La netteté des empreintes témoignait de leur fraicheur. Ses camarades ne s’aventuraient pas aussi loin dans les ruines, seul un étranger idiot marcherait ainsi à sa perte. De rage, elle faillit jeter la lampe par terre. Elle avait trouvé le fou que Mascha avait aperçu au loin.

Pour le sauver, Adèle allait devoir retourner chez elle.

Les yeux rivés sur le sol, elle tremblait. Elle voulait partir et ne jamais revenir, mais abandonner l’inconnu à son sort la révulsait. Les secondes s’égrenèrent, fractions d’éternité. Sa respiration projetait de petits nuages de brume, à travers son fin couvre-bouche. Sa jambe se souleva, et quand elle redescendit, ce fut dans la direction suivie par les traces. Il lui sembla que son cœur se trouvait sous la semelle, contre le gravier et la glace. Un deuxième pas, les images de son retour l’assaillirent ; Josh riant du plaisir de la revoir, tous leurs amis la félicitant d’avoir réussi une telle expédition, d’avoir été à la hauteur de sa légende… Elle se força à ne pas pleurer ; les larmes auraient gelé à même ses joues.

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